Lorsque l'on dirige une des prisons les plus surveillées au monde, les tâches quotidiennes ne manquent pas. Éplucher les dossiers des nouveaux venus, être prévenu dès qu'une caméra de surveillance a détecté un quelconque problème, savoir régler le problème en question, embaucher le personnel et les vigiles, veiller au bon fonctionnement de l'ensemble de la prison. Bref, il ne manquait pas de travail et passait le plus clair de son temps dans son bureau. Certains prisonniers ne le rencontraient pas avant des années : tous n'étaient pas conviés dans son bureau. Ce n'était pas dans ses habitudes de faire connaissance avec ses pensionnaires, dirons nous.

La veille au soir, il s'était penché sur le dossier d'un détenu entré récemment, depuis quelques mois à peine, à Pandora. Sergueï Aidan Kalashov a été arrêté pour collaboration à la mafia, à un degré assez élevé puisqu'il avait à son actif des détournements de fonds, des trafics divers mais également plusieurs meurtres. Rien d'étonnant dans le fait qu'il soit directement classé dans les détenus rouges, les plus dangereux au sein de la prison. Mais lorsqu'il s'était penché avec bien plus d'attention dans son dossier, qu'il avait lu en détails les divers rapports de justice mais également ceux de la police, il avait découvert plusieurs points insolites.

Ce criminel avait commis des délits graves à tout vas pendant plusieurs années, protégé par son réseau, et d'après les éléments du dossier il n'avait pas fait de bavures qui auraient pu mener la police sur sa trace. Un criminel très doué dans sa branche, quoi. Puis, un rapport de police sur un meurtre très sanglant d'une femme, en face de ses trois enfants, et à l'époque aucune piste, rien, qui ne puisse l'expliquer. Aucun indice non plus. Personne ne se manifeste, son mari en particulier est effondré mais ne sait rien. Les années passent. Puis, tout à coup, comme par magie, le mari en question se rend au commissariat et annonce aux policiers qu'il connait le meurtrier de sa femme. Sergueï est arrêté, on enquête sur lui, on découvre ses activités, et aussitôt il est envoyé en prison.

Nolaan a réfléchi longtemps, assis à son bureau, le regard dans le vide, s'interrogeant. Quelque chose ne tournait pas rond. Ce n'était pas tout à fait son problème, mais tout ça le tracassait. Comment donc l'homme avait-il su tout à coup que Sergueï était le sanglant meurtrier de sa femme ? Et pourquoi plusieurs années plus tard ? Le rapport de police était évasif. Ce meurtre paraissait être un acte isolé, sans aucune explication. Beaucoup d'autres questions se déroulaient dans son cerveau, mais il décida plutôt d'aller rejoindre son lit, en prévenant un des vigiles que demain à la première heure, on lui emmènerait Monsieur Kalashov.

Le lendemain, Nolaan était donc assis à son bureau, réglant des dossiers de détenus entrants, lorsque que quelqu'un tapa à la porte. Deux gardes entrèrent avec le mafieux russe, Nolaan ne l'ayant encore jamais rencontré il l'observa attentivement tandis que le détenu était assis de force sur une chaise en face de lui.

« Bonjour Sergueï. Asseyez-vous, je vous en prie » dit-il comme si le russe avait eu le choix.

« En principe, lorsque je demande à voir l'un des détenus, c'est que l'on vient de m'avertir qu'il y a eu un problème quelconque. Ce qui n'est pas votre cas ; j'ai noté que vous êtes singulièrement calme. » ajouta-t-il d'une voix posée et ferme.

Puis il jeta un regard vers les deux vigiles qui se tenaient près de la porte. Après quelques secondes, il les congédia, préférant rester seul avec le détenu. Il n'avait aucunement peur, et de toutes manières si Sergueï avait la mauvaise idée de l'attaquer les caméras les surveillaient, les vigiles entreraient dans la seconde et il serait expédié au cachot le temps jugé nécessaire. Non, ce n'était certainement pas une bonne idée.

Le directeur plongea son regard dans celui du détenu, le visage stoïque, et marqua une pause avant de dire :

« Je me suis penché sur votre dossier. Il y a des petites choses étonnantes dans les rapports de police. En ce qui concerne le meurtre d'une femme pour lequel vous vous êtes fait prendre. Des années après. La police avait classé l'affaire, elle n'avait pas réussi à retrouver votre trace. Je me demande de quels pouvoirs le mari a-t-il pu être doté pour parvenir à vous trouver... »

« Je me suis penché sur votre dossier. Il y a des petites choses étonnantes dans les rapports de police. En ce qui concerne le meurtre d'une femme pour lequel vous vous êtes fait prendre. Des années après. La police avait classé l'affaire, elle n'avait pas réussi à retrouver votre trace. Je me demande de quels pouvoirs le mari a-t-il pu être doté pour parvenir à vous trouver... »

Nolaan appuyait son regard tout en prononçant ces dernières paroles, étudiant attentivement la réaction de Kalashov. Celui-ci ne se fit pas attendre. Et il donna la réponse qui était la plus logique, mais probablement celle que le directeur craignait le plus :

« Ce n'est pas difficile pour un parrain de la mafia de se rendre compte que l'un de ses ''fidèles'' est le meurtrier de sa femme. » et d'ajouter : « Si la police n'a pas cherché à ce que justice soit faite, c'est parce qu'ils savaient parfaitement que ce serait réglé... autrement. »

Nolaan s'adossa un peu plus profondément dans son fauteuil, marquant une pause, les yeux dans le vague. Bien sûr, il n'était pas dupe, il existait de grands trous noirs au sein de la justice qui permettaient à certains de se sortir de chaque mauvais pas. Toujours les mêmes d'ailleurs – les hommes les plus puissants « financièrement parlant ». Et la police n'échappait pas aux pots de vins et autres. Et lui était loin d'être un flic, et ne se sentait pas l'âme d'un justicier – mais il ne pouvait pas décemment faire comme s'il n'était au courant de rien. Un homme peut se battre contre tout sauf contre sa propre conscience.

« Quoi qu'il en soit, j'avais mes raisons. »

Le directeur laissa échapper un sourire d'amusement, un peu en contradiction avec la situation.

« Oh j'imagine. A vrai dire, je pense que vous pouvez vous estimer heureux d'être ici et non pas enfermé six pieds sous terre à l'heure qu'il est. »


Puis il se leva, prit un paquet de cigarettes dans son tiroir, et le tendit en direction de Sergueï pour qu'il se serve s'il le désirait. Il s'en alluma une, et jeta le paquet sur son bureau. Il marcha un peu sans rien dire, réfléchissant à ce qu'il convenait de faire par rapport à cette information. Puis Nolaan s'appuya sur son bureau, levant les yeux vers le détenu.

« Bon. Tu m'épèles son nom ? »

De toute évidence Sergueï avait conscience que dans sa situation il n'avait aucune raison de cacher l'identité de son ancien patron. Et le directeur l'avait bien compris.
Il attrapa un bloc note et un stylo, observant Sergueï avec interrogation. Il ne comptait pas appeler la police mais un contact de son père, qui jugerait ce qu'il serait nécessaire de faire, et lui de son côté n'aurait plus d'états d'âmes face à cette histoire. Ne lui resterait plus que la curiosité de savoir pourquoi donc commettre un crime si atroce – mais à vrai dire, il pourrait poser cette question à la moitié des prisonniers qui résidaient ici, il ne serait pas certain d'y entendre une réponse satisfaisant sa curiosité.

Stoïque, droit, dans une attitude qu'il avait appris de son père, Nolaan fixait le détenu sans ciller, son bloc note à la main. Il venait de lui demander en bonne et due forme de lui donner le nom véritable de celui qui avait été son chef. Il pensait qu'après lui avoir balancé comme ça que le parrain de la mafia russe était le mari de la femme qu'il avait sauvagement assassiné, Kalashov serait prêt à lui donner son nom. Mais le prisonnier se rétracta.

« Hors de question. On ne donne pas des noms comme ça. J'ai peut-être assassiné sa femme, mais je ne suis pas une balance, je ne suis pas là pour pleurnicher parce qu'il m'a fait refait le portrait. Pourquoi ne pas fouiller dans les dossiers de la police, sur le meurtre de sa femme ? [...] Ah... mais bien sûr. La corruption. Son nom, introuvable nulle part... » puis, désignant sa cigarette du doigt, « Vous avez du feu ? »

Le directeur prit son briquet dans sa poche et s'approcha pour allumer la cigarette de Sergueï, restant silencieux, alors que celui-ci reprit, rusé :

« Qu'est-ce que j'y gagne ? 

Là, Nolaan ne put retenir un ricanement. Il aurait dû s'en douter. Mais il n'avait aucun privilège à offrir à certains de ses prisonniers – ici, tous étaient logés à la même enseigne, et c'était à eux de se montrer sages et obéissants ou de bien s'entendre avec les vigiles. Et bien sûr, Nolaan n'était pas en mesure d'alléger une peine, c'était avec la police qu'il aurait fallu voir ça. Il laissa filer quelques secondes, tirant sur sa cigarette, avant de lui répondre calmement :

« Il n'y a rien à gagner, ici. Du moins pas de cette manière-là. Mais de toute évidence, vous n'appréciez guère ce type, alors pourquoi le protéger ? J'ai du mal à saisir ce que vous pourriez y perdre. Ce que vous auriez à gagner ; ce serait de vous savoir vengé, que lui aussi croupisse au trou, puisqu'il le mérite autant voire plus que vous encore. Mais après tout, trucider sa femme vous a peut être suffit. »

Il haussa les épaules avec un léger sourire, qui ne contenait aucune once de chaleur. Puis il attrapa son agenda sur son bureau pour y marquer d'appeler le contact de son père sous peu, au cas où.
Il inspira profondément et reprit, levant de nouveau le regard bleu vers le détenu :

« Mr Kalashov. Comprenez que je ne suis pas un flic -dieu merci- et que je ne les contacterai pas non plus. A vrai dire, cela serait idiot, puisque de toutes évidences certains hauts placés ont des relations particulières avec votre ancien boss. Que je n'ai aucune envie de voir ici d'ailleurs. Mais j'ai une conscience. Soit vous me dites son nom et je ferai ce que j'estime nécessaire, et peut être que je pourrai répondre à quelques requêtes que vous auriez en tant que détenu ici – soit, vous restez buté sur votre décision et on n'en parle plus, et les messieurs qui attendent devant la porte vous ramènerons directement dans votre cellule. »



HJ : désolééé pour le retard